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Bouleversement identitaire après une lésion cérébrale

  • ChloeSalesse
  • 13 nov. 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 nov. 2021

La cérébrolésion et ses conséquences ont de réelles répercussions dans la vie du sujet. Elles constituent une certaine rupture dans la continuité identitaire par un bouleversement de repères malgré la mêmeté du Soi.

Je propose de développer différentes dimensions identitaires (personnelle, sociale et psychoaffective) résultant d’un apport théorique et clinique.

  • Personnelle :

Selon un professeur de psychologie, Tap, « l’identité personnelle peut être définie comme le système de représentation et de sentiment à partir desquels le sujet : se construit et utilise un horizon temporel (grâce au sentiment d’identité il peut en effet se percevoir le même dans le temps, se vivre dans une continuité existentielle), il aspire à une certaine cohérence, met en place la fonction de personnalité, c’est-à-dire coordonne ses conduites, ses aspirations, ses désirs et, ce faisant, cherche à rester lui-même, ainsi il préserve une positivité, une estime de soi à partir desquelles peuvent être canalisés les angoisses et les sentiments d’échec.» (Tap, 1987, p. 399) L’accident en tant que destruction est lié à la possibilité d’une certaine métamorphose d’une identité personnelle qui est tout sauf immuable. La conception du sentiment d’identité retentit au niveau corporel. Or, les lésions cérébrales acquises (LCA) modifient brutalement les informations habituelles en affectant le corps, sa perception et l’organisation gestuelle/motrice. La clinique nous suggère de prendre en compte le traumatisme corporel. Le corps est perçu comme étranger et totalement éclaté, dépourvu de sens rationnel. Ce corps a changé, s’est modifié et est sujet à des expériences parfois douloureuses. La rééducation va permettre la redécouverte d’un corps propre mais nouveau. L’objectif est donc d’entreprendre une réappropriation ; d’apprendre à le redécouvrir, à le sentir, à le connaître et à l’accepter. (Tessier, 2015)

Oppenheim-Gluckman, pense que l’atteinte du sentiment d’identité chez ces patients est en partie due à l’expérience de désorganisation corporelle. Le sujet est confronté à des perceptions nouvelles qu’il ne reconnaît pas et qu’il ne s’approprie pas. Ces nouvelles expériences mettent à mal le fonctionnement habituel et automatisé et sont difficilement intégrables par l’image du corps. C’est ainsi que « le patient ne peut s’attribuer cette expérience car elle est pendant longtemps inintégrable par rapport à son sentiment d’identité, par rapport à l’idée consciente et inconsciente qu’il se fait de lui-même. » (Oppenheim-Gluckman, Atteinte de la pensée et psychopathologie, 2012, p. 342). Quelques fois la rétrospection et la comparaison avec le corps d’avant est possible et se trouve en contradiction avec les sensations actuelles. Ce qui constitue une rupture avant/après. Cette théorie permet de mieux comprendre les difficultés de représentation du corps (manque de précision, proportions non respectées et parfois disparition de certains membres) des patients cérébrolésés, qui ne sont pas en lien avec l’aspect cognitif de la connaissance (somatognosie). Cependant, les troubles cognitifs altèrent les capacités de représentation : c’est le cas des troubles attentionnels. Ces derniers sont indispensables pour que la personne soit d’autant plus attentive à elle-même et moins à l’environnement qui l’entoure. Cette attitude pourrait confirmer un nouveau moi ou le mettre en danger pour se sentir vivant en tant que personne à part entière. (De Potter, 2009).

De plus, les séquelles mnésiques du patient cérébrolésé entraînent une diminution ou une rupture totale de repères individuels. Cette mise en exergue du sentiment de soi ébréché se justifie par une importante modification du rapport entre le passé, le présent et le futur. Quant aux questionnements « pourquoi est-ce arrivé ? Pourquoi à moi ? », ils seront envahissants et renverront à une culpabilité inconsciente. Les aspects moïques et imaginaires sont indispensables pour la gnosie des troubles et dans la constitution de notre identité notamment dans les relations aux autres. (Oppenheim-Gluckman, Atteinte de la pensée et de l'identité, 2012) 30 « Le travail de construction de l’identité personnelle consiste, […], à (ré)concilier ce que l’individu est (a été), d’une part avec ce qu’il voudrait être, et d’autre part avec ce qu’il croit que les autres voudraient qu’il soit. » (Bajoit, 1999, p. 69)


  • Sociale :

Selon la théorie de Tajfel et Turner, l’identité sociale est définie comme « la partie du concept de soi d’un individu qui résulte de la conscience qu’à cet individu d’appartenir à un groupe social ainsi que la valeur et la signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance. »

Chez les personnes cérébrolésées les sentiments d’existence et d’identité sont ébranlés par la défaillance des processus d’inter-reconnaissance entre soi et l’autre, qui manquent d’interaction avec le monde extérieur. De plus, « la relation du blessé avec le monde sera dorénavant marquée par l’étrangeté : « Il paraît que j’ai eu un accident, […] « je suis quelqu’un d’autre » ». Malgré l’appel narcissique du cérébrolésé, les proches confirmeront qu’il ne s’agit plus de la même personne. (De Potter, 2009). C’est pourquoi sa place est bouleversée au sein du cocon familial. En effet, il a besoin de ses proches dans la vie quotidienne et nécessite de l’aide mais aussi de paroles faisant office de « prothèse de représentation ». (OppenheimGluckman, Atteinte de la pensée et de l'identité, 2012). L’appui porté sur ces éléments externes (racontés par les proches) à soi-même permet de combler le vide en se représentant sa biographie, l’accident et ses conséquences. C’est donc un moyen de compenser le manque d’attribution de l’accident qui créait un décalage entre lui et son entourage. L’altération du rapport au temps éprouvé, vécu et social constitue également une forme de discontinuité d’existence étant donné l’incompréhension d’autrui.

Cette expérience bascule tous les repères familiers, par le manque de communication avec l’entourage et par le retour en enfance comme figé dans le temps dans certain cas. La question de conformité entre en jeu dès lors qu’il y a une confrontation avec les attentes des autres. Le sujet est dans le désir de s’intégrer, de s’ancrer et d’être reconnu par les autres, ce qui expliquerai alors la présence de mimétisme des modes et des conduites. Les stratégies identitaires se fondent quand les relations sont mal vécues, se manifestant dans les conduites par des mobilisations offensives (coiffure, habillement, etc…), quête de valorisation, repli, isolement, doute. L’expression de ce panaché de réactions se déroule principalement lorsqu’il y a un bouleversement dans les rôles habituels, se traduisant comme une « impotence du moi ». (Tap, 1987).

L’approche sociologique évoque le handicap comme un enjeu de société, impliquant l’interaction entre « valides » et « handicapés ». Le stigmate est l’attribut qui distingue et disqualifie l’identité auprès des autres. Les comportements et les attitudes à l’égard des personnes stigmatisées sont ambivalents. Le jugement moral se révèle être une idée qualitative des autres face à une perte de reconnaissance physique et comportementale du cérébrolésé. Certes le corps est une inscription sociale mais il n’en demeure pas moins que chaque corps évolue au fil du temps (marques de différenciation et vieillissement). Comme le disait Lebreton, notre rapport au corps est un phénomène social et culturel qui constitue un symbole qui subit les effets de la société.


  • Affective :

De mon point de vue, il est essentiel de considérer l’individu dans sa globalité, comprenant également une notion peu abordée et considérée comme tabou : la sexualité. Pour obtenir, une vie sexuelle épanouie, il faut d’abord être en adéquation avec son corps et son esprit ; assumer ses défauts et ses qualités et avoir conscience de ses limites. Dans une relation amoureuse, les identités personnelle et sociale sont en interaction étroite de manière équilibrée. La personne cérébrolésée a aussi sa propre demande de sexualité mais souvent en discordance avec son entourage. De plus, leurs difficultés se retrouvent aussi dans tout le champ de la sexualité. Tout d’abord, il y a la blessure narcissique qui est majorée par rapport à l’inquiétude portée quant à la place de l’autre. Selon Hamonet (2009), durant la phase de coma, la personne cérébrolésée redécouvre son corps dont son corps sexué. Le temps d’hospitalisation permet de retrouver son identité sexuelle par l’intermédiaire des comportements sociaux et de ses propres pulsions, malgré l’impression d’avoir un corps passif, dévoilé et manipulé par tous.

Également, nous remarquons que les déficits sensitifs entravent la perception des sensations corporelles et que les atteintes neurosensorielles (cécité, amputation) entraînent potentiellement une perte de stimuli. Le retour à la vie sociale en milieu habituel peut révéler des comportements d’hypersexualité ou au contraire d’hyposexualité. Les relations de couples sont perturbées (conflits, pertes de souvenirs), le partenaire peut parfois ne pas reconnaître son compagnon ou ne plus être en adéquation avec cette nouvelle sexualité. Il est compliqué d’être attentif à l’autre quand on ne l’est pas avec soi-même. L’altération du langage gêne les modalités de communication, d’initiative et d’autocensure affective entre deux personnes qui tissent des liens affectifs, notamment, lorsqu’il y a un trouble de la compréhension qui ne permet pas de faire des références métaphoriques. Nous retrouvons également, les troubles du comportement qui mettent à mal le fonctionnement sexuel avec de l’exhibitionnisme, des gestes inappropriés ou encore de la désinhibition. La sexualité peut se trouver entraver par les pertes de la commande motrice qui entraînent des difficultés pour se mouvoir et qui sont parfois accompagnées de mouvements anormaux qui parasitent les contacts sexuels.

Enfin, au sein d’une institution, le droit à une sexualité consentante est affirmé mais son application reste complexe pour la personne concernée, le personnel et l’entourage. L’évolution hédoniste s’accompagne d’une certaine réticence bien qu’il s’agisse d’une façon pour la personne cérébrolésée ; d’être et de vivre une existence humaine précieuse : l’Amour. La personne cérébrolésée est confrontée alors à un milieu hostile, se sentant incomprise et étrangère à toutes ces situations. Toute reconstruction identitaire se réalise sur le fil des dualités suivantes : passé/avenir, difficultés/capacités et récupérable/irrécupérable. Malheureusement, on constate une forme de cristallisation dans cette étape douloureuse de changement et d’acceptation. La conciliation de l’avant et de l’après se fera par l’intermédiaire d’un regard bienveillant de la société et de l’entourage. Le monde social et particulièrement son regard est une référence essentielle dans la construction identitaire.


Chloé SALESSE



 
 
 

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